Liberté de “se” vendre?

Liberté de “se” vendre?

“Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre “(Jean, 8 ,7)  et  Jésus Christ  délivra Marie-Madeleine de ses sept démons. Dénommée aussi  Marie de Magdala, cette femme du nouveau testament est l’image d’une expérience humaine, le prototype d’une   courtisane. Ce fragment de l’Evangile relate  donc qu’il y a à peine moins de 2000 ans, la prostitution féminine existait déjà. Ce phénomène très ancien, est parfois décrit comme étant le plus ancien métier du monde, à tort dirai-je, parce que cantonner le rôle de la femme à ce mode de service minimise sa vraie valeur. Laissons la femme sur son piédestal et permettez-moi d’affirmer que la première profession que la femme ait pu exercer est d’abord et avant tout la maternité. Bref, le but de cet article n’est point de critiquer ou de lapider les prostituées, mais de critiquer le regard hypocrite d’une société qui les méprise tout en les exploitant. Mon objectif est de tenter d’enlever une partie du voile qui entour ce phénomène appelé la prostitution, thème brumeux dont l’acteur suffisant et nécessaire est  le sexe, premier sujet tabou de notre société.

La prostitution, telle que nous pouvons la définir, est le fait d’avoir des relations sexuelles en contre partie d’une rémunération. Le client jouit en fait du corps de la prostituée pendant un certain temps  moyennant un prix sur lequel les deux parties se sont entendues. En termes juridiques, une femme à la sexualité épanouie, passe un contrat oral avec un client, deuxième partie, à travers lequel elle s’oblige à lui offrir des services sexuels moyennant une rémunération que le client s’oblige à payer. Les deux parties sont consentantes, la demande et l’offre sont concordantes. On serait tenter, nous juristes, de classifier ce type de contrat au sein des contrats de vente ou de bail ou même de louage de service. Cependant ces intrusions se heurtent au caractère Res extra Commercium du corps humain : qui ne peut faire l’objet d’aucune convention, et aux notions d’ordre public et de bonnes mœurs qui rendent l’objet du contrat illicite.

On peut penser : en quoi le sexe diffère des autres organes du corps? Les mains qui massent, coiffent, maquillent, soignent…?

N’est il pas vrai que la liberté de disposer de son corps  est un principe  affirmé tant au plan national qu’international, à travers les déclarations de droits et les différentes lois nationales. Toute personne est maîtresse de soi même, elle a un pouvoir sur son corps. Dès lors que cette personne est consentante, pourquoi vider son consentement de son essence? En fait, la prostituée est libre de passer le contrat sur tout ou partie de son corps. Elle peut conclure l’accord sous réserve de garder une intimité affective à laquelle le client n’a pas accès et ceci malgré la proximité corporelle (la zone qu’elle ne partage qu’avec la personne aimée par exemple lèvres, visage, cheveux).Cependant on ne cesse de répéter que la liberté de l’individu doit être encadrée pour ne pas porter atteinte aux libertés des autres individus. Or ici on encercle l’exercice de cette liberté individuelle pour protéger la personne elle même contre sa propre volonté d’une part et pour préserver  l’ordre public et les bonnes mœurs d’autre part.

N’est-il pas vrai aussi que le principe de la liberté du travail est solennellement déclaré à tous les niveaux? Chaque personne est libre de gagner sa vie par un travail choisi ou accepté. Et ici encore vient l’ordre public et les bonnes mœurs – concept d’ailleurs ténébreux et mouvants – jouer leur rôle de garde-fou.

Ainsi, autour de cette notion de prostitution, deux horizons se dessinent paradoxalement : le moule  rassemblant  liberté individuelle, liberté de disposer de son corps, droit à la liberté sexuelle qui prône le droit de se prostituer contre le moule regroupant droit à la dignité humaine, prohibition des traitements inhumains et dégradants, l’esclavage et le traitement des êtres humains qui rejette toute idée de prostitution.

Un troisième paysage peut venir concilier ces 2 conceptions antagonistes.

Ces femmes, professionnelles de la sexualité, dans le cas où elles ont choisi librement ce domaine et dès lors que leur consentement est libre et éclairé ne seraient-elles pas titulaires d’un droit au respect de leur vie privée et de la liberté de disposer  librement de leur corps? Une distinction parait être séduisante : consentement vicié, contraint et un autre libre et éclairé. Aujourd’hui dans le monde, des organisations et des associations regroupent ceux qui se présentent comme les « travailleurs du sexe » et qui militent pour une reconnaissance officielle de cette profession. L’International Union Of Sex Workers à Londres soutient qu’il existe une prostitution libre et indépendante relevant d’une démarche volontaire. De même, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe admet une certaine liberté de se prostituer quand il s’agirait d’une prostitution consentie (résolution 1579).

Au Liban, malgré la législation répressive, les réseaux de prostitution se développent. C’est une calamité qui hante notre société. « Maamlten » est le quartier chaud au Liban. Les propriétaires des super night clubs emportent des femmes pour travailler dans leur établissement avec un visa d’artiste. De toute façon le terme artiste n’est qu’un euphémisme pour prostituée, hypocrisie encore une fois décelée. Techniquement, le régime de la prostitution au Liban est fixé par la loi de 1931: la prostitution était permise dans le cadre de maisons closes enregistrées et tolérées dans un quartier précis de Beyrouth. La guerre de 1975 a sonné le glas de cette réglementation : Le gouvernement a cessé de délivrer depuis des licences permissives de maisons closes. Théoriquement donc, la prostitution des super night club est illégale.

Pourquoi alors ne pas repenser ce phénomène?  Une réalité s’impose: interdire la prostitution est une utopie. Il se trouvera toujours des femmes attirées par l’argent facile. Il n’est guère question dans le présent article de faire l’éloge de la prostitution ou d’inciter les femmes à y recourir. Mais, soyons réalistes et non idéalistes, ce phénomène existe depuis la nuit des temps et existera toujours. Pourquoi donc ne pas consacrer expressément la liberté de se prostituer, encadrer et réglementer son activité et aborder  ainsi le même  chemin qu’ont déjà tracé d’autres pays  tels l’Allemagne, les Pays Bas, la Suisse …

 

Rawa Zoghbi Droit5

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